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La Tranclière
Lorsque que j'étais enfant, mon père passait la majeure partie de son temps libre à fabriquer des avions miniatures. Sa passion pour l'aéromodélisme était alors à son apogée, et nous avions pour habitude avec ma sœur de l'accompagner, quasiment chaque week-end, au terrain d'aviation de la Tranclière, histoire de tester le tout dernier engin. Durant le trajet, je sentais mon père fébrile, et je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer le crash malheureux de son nouveau jouet à l'occasion du premier vol. Des accidents du type, on en a vu, et c'était pas drôle. Ton excitation est coupée nette, et tu n'as plus qu'à retourner à l'atelier, si tu as eu assez de chance pour ne pas récupérer que des débris.
On était souvent intimidées au début de la journée, au milieu de tous ses bonhommes qui paradaient fièrement avec leurs maquettes volantes fraîchement peintes. Parfois, l'un d'eux venait avec ses enfants, et c'était bon signe pour nous. Quelqu'un avait installé une vieille caravane sur le bord du terrain ; un espace de jeu idéal pour les gamins que nous étions, surtout quand on commençait à se lasser du bruit des moteurs, ou quand la tête nous tournait à force d'avoir le nez en l'air. Mon père a frappé fort une année à Pâques : son tout nouveau modèle, équipé d'un tronc de poupée Barbie en guise de pilote, était capable de larguer des œufs en chocolats qu'on cherchait des heures durant, au milieu de l'herbe rase peuplée de grillons. On oubliait les avions au-dessus de nos têtes, et il n'était pas rare qu'on nous crie de nous ranger sur le côté, atterrissage d'ULM oblige.
La route du retour était heureuse ; je respirais l'odeur si caractéristique d'une journée au grand air qu'avait capturée ma peau, et on prenait le chemin herbeux qui longe l'autoroute et vous secoue dans tous les sens. C'était, je crois, mes premières sensations de blues du dimanche soir.